La Chapelle des Gobelins, Paris, FR
18/09/2019 - 4/12/2019
dans le cadre de l'exposition "Créer pour Louis XIV. Les manufactures de la couronne sous Colbert et Le Brun"
Oeuvre présentée:
In Situ #3, 2019
installation in situ
feuille d'or
dimensions variables
Reflets d'or : Les Gobelins d'hier et d'aujourd'hui
Dans La Chapelle des Gobelins, Mathias Kiss avec son oeuvre IN SITU#", crée une superficie miroitante. Au-delà de l'effet de reflet, cette oeuvre s'inscrit en rupture dans l'iconographie de la couleur doré. Si elle s'apparente à un matériau noble lié à rareté, elle représente également la recherche d'un absolu. Néanmoins, selon les périodes historiques elle n'a pas toujours signifié exactement la même chose.
Au Moyen Age, dans les arts occidentaux, le métal précieux est d'abord associé à la religion chrétienne. La couleur doré est appliquée aux objets religieux dans les retables, les textiles, les textiles et les ornements des églises. Si elle fait vibrer la lumière dans les cathédrales et les églises d'Orient ou d'Occident, elle n'en est pas moins associé à la sphère sacrée ou le spectateur-fidèle est très souvent tenu à distance. La lumière et la richesse qui se dégagent de cette couleur sont ainsi associes a la séparation entre le sacré et le profane.
À partir de la Renaissance, et surtout au XVIIe siècle, l'or devient la couleur du représentant de Dieu sur terre (le Pape, l'Empereur ou le Roi) En France, Louis XIV, roi soleil-roi doré, est le monarque qui crée son propre style décoratif. Le monarque étend l'éclat de sa splendeur à toutes des surfaces possibles : pilastres, colonnes murales, tapisseries, mobiliers, mais aussi costumes et machineries scéniques et autres objets associés à la gloire de la monarchie. L'or devient la couleur emblématique du roi-soleil.
L'enclos des Gobelins et le Garde-Meuble de la Couronne, ancêtres du Mobilier national, deviennent les lieux de fabrication et de conservations des objets au service du lustre royal. Charles Le Brun, 1er peintre du roi-soleil, est le directeur de la manufacture des Gobelins. Deux attributs qui caractérisent alors ces productions: verticalité et distance - verticalité de la plupart des objets et distance associe a la sphère sacrée du monarque. L'or est applique sur des surfaces qui généralement sont disposes de haut en bas, donc en frontalité par rapport au spectateur (à l'exception de certaines surfaces horizontales : sièges, canapés, lits; consoles, bureaux). Cette couleur associée à la famille royale, par le cout de la matière première, est liée à la figure du sacrée du roi. L'or symbolise ainsi jusqu'au XVIIIe siècle une élévation et une distanciation.
Dans son installation, Mathias Kiss transgresse les deux codes de l'or royal. Il en fait une surface horizontale et proche du spectateur. En foulant la superficie, on marche sur une surface dorée à la faute, une expérience de la couleur unique en raison de l'horizontalité et du jeu de reflets miroitants. Par cette expérience, l'artiste rompt avec l'idée de distance et de sacralité. L'étendue et la proximité d'aujourd'hui s'opposent à l'atemporalité et à la distance du XVIII siècle.
Ce n'est pas la première fois que Mathias Kiss détourne le métal précieux. Pour Pierre Hardy, il a créé les "Slidor", 25 baskets emblématiques avec une semelle dorée à la feuille d'or. En inversant l'ordre des valeurs, l'artiste détourne la valeur du métal, mais aussi l'usage qui est en fait. La deambulation devient un acte créatif, soit par l'instrument de la marche (la chaussure), soit par le chemin parcouru (le sol d'une chapelle). La frontière de l'inaccessible s'est déplacée, elle n'est pas dans une distance symbolique mais dans la manière de percevoir les reflets, elle n'est plus dans une matérialité physique mais dans une experience sensible.
Marc Bayard