13 février – 13 juin 2025
Au sous-sol de son atelier, Mathias Kiss propose une mise en scène dystopique de l’idéal-type de beauté façonné par notre civilisation, dans ses formes les plus classiques jusqu’à ses expressions méta-modernes. Dans ce white-cube souterrain dont l’épure laiteuse rappelle le cadre liminal d’un abri antiatomique, le visiteur vit l’expérience troublante d’un paysage paradisiaque à la fois exaltant et terrifiant. Sous son apparente attractivité plastique, se dessine une réalité plus incandescente et funeste.
La narration, soutenue par une composition originale du musicien Nicolas Godin du groupe AIR, se déploie autour d’un ensemble mêlant des pièces iconiques de l’artiste à des créations in situ. D’un monde irradiant d’artificialité incarné par The Sun (issu de l’installation I Have a Dream, 2015), dont l’esthétique cosmétique dialogue avec le motif « virtuel » des ciels pixellisés (Pieces of Sky), le parcours évolue vers une ambiance plus anxiogène. Cela se manifeste par l’agrandissement mural, à travers son QR Code, du certificat (expiré) de vaccination de l’artiste contre la COVID- 19. S’en suivent l’embrasement de ce monde, évoqué par le paravent-miroir flamboyant, et puis sa décrépitude, symbolisée par des pièces « digitalisées » de mobilier en déconstruction. L’issue dramatique de notre disparition s’incarne par la silhouette fantomatique d’une cheminée, « trace » calcinée d’une époque révolue.
Malgré les 50 ans qui les séparent, le récit apocalyptique de cette exposition n’est pas si éloigné des paranoïas écologiques, technologiques et sociales, présentes dans Les Mange-Bitume, une BD de science-fiction qui a profondément marqué l’enfance de Mathias Kiss. En dehors d’avoir prédit les futures arrivées de l’Internet ou de l’IA, celle-ci décrivait, à l’ère de l’Homo-Mobilis (une autre dénomination pour désigner le « tout-automobile » pompidolien), les dérives totalitaires et destructrices d’une époque des Trente Glorieuses aveuglée par l’idéal caressant d’un bonheur « pop » autocentré, sur-consumériste ou automatisé. Dans sa préface, René Goscinny évoquait : « Pas d’horreur apparente ; du confort, de l’abondance. L’illustration d‘une société parfaite qui a perdu son âme et va calmement à sa perte. »
A l’ère de l’Homo-Connecticus, l’installation de Mathias Kiss exprime, non pas la noirceur du futur, mais la vision « post-pop » d’un présent qui danse sur un volcan. Pris dans l’engrenage narcissique qu’imposent les diktats esthétiques de la machinerie numérique, l’individu hypermoderne, tant dans son image que dans son mode de vie, pousse ses désirs de perfection à l’extrême, quitte à provoquer sa propre perte. Il n’en reste pas moins que l’artificialité des œuvres présentées est contrebalancée par l’authenticité d’une démarche reposant sur un savoir-faire et un sens historiques du beau. Chaque pièce, par la noblesse de ses matériaux, ses références au classicisme, transcende le beau pour en faire une expérience contemplative transformatrice. Ainsi, l’œuvre de Mathias Kiss dépasse le cynisme d’une critique post-moderne pour rejoindre la profondeur d’une approche méta-moderne dans sa manière de regarder le passé pour éclairer le futur et l’affranchir des dérives du présent.
David Herman
Directeur créatif et curateur pluridisciplinaire